
Je n’ai besoin de rien !
– Marius, j’ai une nouvelle mission pour vous.
– Je vous écoute, chef, répondis-je intrigué.
– Vous connaissez la situation actuelle de notre pays, ce coronavirus et ses répercussions économiques. Bien entendu, l’activité de notre entreprise est à la baisse depuis quelques semaines, nos productions faiblissent et nos ventes chutent. Nous ne pouvons pas continuer comme cela.
– C’est certain.
– Après analyse de ce problème, j’aimerai remotiver notre personnel, de plus en plus déconcentré par les évènements. Seulement je ne sais pas comment m’y prendre. Avec ces interdictions de rassemblement, impossible d’organiser des journées d’entreprise pour souder l’équipe. Le cadre de travail n’est pas mal, les salaires corrects et les avantages intéressants. Nous avons mis en place toutes les directives du gouvernement pour protéger nos salariés de la maladie et prenons en compte leurs difficultés personnelles. Pourtant je sens que la peur les domine, leurs pensées sont sans cesse ailleurs, je ne sais plus quoi faire pour les calmer et les remotiver.
– Je comprends. La tâche me semble complexe, comment puis-je vous aider ?
– Eh bien, comme c’est vous qui travaillez depuis le plus longtemps au sein de notre équipe, et comme je sais que vous avez un bon contact avec les gens, j’aimerai que vous les interrogiez un par un pour savoir s’ils auraient besoin de quelque chose auquel nous pourrions palier. Quelque soit ce besoin, je voudrais que vous le recensiez et que vous me proposiez des actions pour remotiver nos équipes.
Mon chef me dégagea de mes autres activités et me laissa une semaine pour lui remettre ce rapport. Je m’y attelais donc rapidement.
La première personne que je reçus dans mon bureau fut Martha, la femme de ménage.
– Comment ça vous voulez savoir quel est mon besoin ? Mais je n’ai besoin de rien, moi enfin !
– Eh bien j’imagine qu’avec les évènements…
– Ah, c’est vrai ! Écoutez j’ai mon gel hydroalcoolique, mon masque pour le ménage qui me sert contre ce satané virus, c’est bon, je suis pas la plus à plaindre !
-Alors vous avez tout ce qu’il vous faut ? insitai-je
Martha marqua une pause :
– Non, franchement non. Il y a bien une chose qui me manque mais vous ne pouvez rien y faire.
– Ah, et souhaitez-vous m’en dire plus, au cas où ?
– Je crois que ce qui me manque le plus c’est la paix. Cette situation de crise me montre que je ne suis pas prête.
– Prête à quoi ? lui demandai-je sans comprendre.
– Bah prête à partir, à mourir quoi ! me lança-t-elle. Alors ce sera pas forcément de cette maladie, mais tout de même, je ne suis plus toute jeune et ça fait réfléchir ! J’ai peur car je sais que je ne suis pas prête, je n’ai pas fais tout ce que je voulais faire et surtout… je n’ai pas pardonné. Je n’ai pas pardonné à ma sœur, mon père, mon fils, ma voisine, à toutes ces personnes avec lesquelles je me suis mise en colère, vexée, et envers lesquelles j’ai gardé de l’amertume. C’est de ça dont j’ai vraiment besoin je crois, de faire la paix avec les autres, et aussi d’avoir la paix intérieurement avant que je ne quitte ce monde.
Se levant de sa chaise, Martha mis les mains dans les poches de sa blouse de ménage, elle sortit en me laissant perplexe. J’aurai peut-être plus de chance avec le deuxième me dis-je.
Justement, Kevin, un jeune homme responsable du domaine informatique de notre entreprise, entra dans mon bureau et je lui posai la même question que précédemment :
– De quoi j’ai besoin ? Ah c’est drôle, on dirait que tu me demandes de frotter une lampe magique en faisant un vœux, fit-il remarquer. Eh bien, franchement ce qui me manque dans la vie je dirai que c’est quelque chose de nouveau, de vivant, de puissant. J’aimerai avoir une vie passionnante, pleine de rebondissements, une vie abondante, un truc fun quoi ! Mais en vrai je m’ennuie au travail, et je m’ennuie même chez moi… Alors j’essaie de regarder des séries télé avec du suspens, de sortir avec les potes, tenter de nouvelles expériences, faire des activités à sensation forte, voyages, montagnes russes, parapente, saut à l’élastique… mais c’est jamais assez. Bon j’avoue que le petit coup de pression du coronavirus ça réveille un peu, hein ?
– On peut dire ça, et en résumé alors de quoi aurais-tu besoin, Kevin?
– De quelque chose ou de quelqu’un qui rende ma vie passionnante ! Mais pas une fille hein, j’ai déjà testé, c’est magique au début et après ça devient routinier quoi… J’aimerai vivre une vie extraordinaire, avec des miracles, de l’espoir, une vision, un objectif qui me fait rêver. Mais j’ai l’impression que tous les chemins que j’ai essayé jusqu’à présent sont bouchés, sans issus…
Il se leva en soufflant, lasse de cette situation à laquelle il ne voyait pas de solution.
A peine Kevin sortit, qu’Émilie entra. Mère de deux enfants et occupant son poste depuis 5 ans au sein de notre entreprise, elle ouvrit la porte avec la poussant du pied, décala la chaise et s’assit à deux mètres en face de mois. Pas besoin de paroles pour comprendre que la situation sanitaire de notre pays la mettait dans tous ces états. Je lui demandais tout de même quel était son besoin.
– Quelle question bête, me jeta-t-elle à la figure, avec tout ce qu’on entend aux informations c’est évident non ! Ce qu’il me manque, comme à tout le monde d’ailleurs, c’est une santé infaillible ! C’est d’avoir des médicaments, un vaccin, une protection suffisante contre ce coronavirus qui nous menace !
– Oui c’est sur que la santé est prioritaire et la situation n’est pas très encourageante…
– Avec toutes les avancées technologiques et médicales de l’humanité, reprit-elle, je ne comprend pas qu’on puisse encore subir une pareille chose, se faire avoir par un virus qui détruit nos projets, nos plans ! J’avais prévu un voyage, hop annulé ! J’avais prévu de visiter mes parents, trop risqué ! Bref, j’ai l’impression que rien ne nous protège suffisamment, j’ai peur d’être touchée, contaminée et après hein ? J’ai peur pour mes enfants et pour ma vie !
J’essayais d’encourager Émilie, lui disant que nous n’en étions pas là, que la psychose n’était pas bonne non plus pour la santé. Mais rien ne semblait vraiment l’apaiser. Alors elle sortie de mon bureau, lui manquant toujours la protection et l’assurance face à la maladie et à la mort.
Arnaud entra à sa suite, les cheveux mis long, en bataille, malgré la quarantaine passée, il s’assit face à moi et, gardant espoir que notre entreprise pourrait faire quelque chose pour ses salariés, je l’interrogeait à son tour.
– De quoi ais-je besoin ? Qu’est-ce qui me manquerait vraiment dans la vie ? répéta Arnaud, l’air songeur.
Il resta silencieux un moment et, comme je le voyais réfléchir, je l’encourageais à répondre :
– Eh bien, ce qui me manquerait, je crois que ce serait de revenir en arrière. J’ai fais beaucoup d’erreurs par le passé. J’ai blessé des gens, j’ai fait les mauvais choix, je n’ai pas côtoyé les bons amis, j’ai trahi, j’ai menti, et j’ai beaucoup perdu…
– Mais revenir en arrière, ce n’est pas possible ! lui répondis-je, presque irrité que même Arnaud, me demandait une chose irréalisable.
– Je sais bien, je sais bien, dit l’homme en balayant l’air de sa main. Mais que veux-tu, je me sens coupable, ce dont j’aurai besoin c’est de pouvoir recommencer à zéro. Tu sais d’être pardonné des erreurs que j’ai faites, d’avoir l’assurance que mes fautes sont oubliées, que je ne les traîne plus. Parce que même si j’aime jouer les mecs cools, dans le fond, il y a des choses qui sont comme un poids sur mes épaules.
Lorsqu’Arnaud sorti, je commençais à désespéré. Je pensais tellement que les besoins auraient été de remplacer la machine à café, de distribuer des augmentations, des jours de congés bonus, des missions plus intéressantes…
Claire, la jeune stagiaire qui avait été embauchée deux mois plus tôt entra alors dans mon bureau et je repris courage.
– Alors Claire, comme tu le sais on fait une petite étude sur les besoins de nos salariés. En aurais-tu un ? Bon j’imagine que rien ne te manque vraiment, tu es jeune, tu fais tes études, tu as une famille, un petit ami…
– Oui mais pourtant, me coupa-t-elle, j’ai l’impression d’être perdue.
– Perdue ? fis-je avec des yeux ronds. Comment cela perdue ?
– Eh bien oui, je passe mes jours et mes nuits à réfléchir. Qu’est-ce que je fais ici ? Pourquoi je suis là et pas autre part? Pourquoi je suis moi et pas quelqu’un d’autre ? Quelle direction prendre dans ma vie pour ne pas me tromper ? Je dois choisir un domaine d’étude, puis un travail, un endroit où vivre, un homme avec qui partager ma vie… Comment être sûre de faire les bons choix dans tous ces domaines ! Et quel est le sens de ma vie ? Pourquoi suis-je sur terre ? Est-ce un hasard, ais-je un but, une mission ? Si oui, laquelle ? Et que ce passera-t-il après ? Je suis peut-être jeune mais, dans le monde dans lequel on vit, plus rien ne semble sûr… Et avec ce virus, la situation peut évoluer tellement rapidement, alors j’aimerai au moins savoir où je vais.
– Et…, pourrions nous faire quelque chose pour t’aider à notre niveau ? proposais-je.
– Bien sûr ! Vous qui êtes plus âgés, j’imagine que vous avez des réponses à ces questions, ou qu’au moins vous pourriez me dire où les trouver ?
– Je regrette, mais non. Je n’en sais pas plus que toi.
– Et vous arrivez à vivre ? Je veux dire, à avancer tous les jours…sans réponses ?
Je fus presque soulagé quand Claire sortit de la pièce. Ses questionnements m’avaient mis mal à l’aise, me forçant à réfléchir sur des sujets que je m’étais appliqué à mettre de côté depuis déjà des années. Bien sûr que j’avais des questions, mais sans réponse, j’avais préféré faire comme si de rien n’était.
Épuisé, mon dernier entretien entra dans la pièce. C’était Jonathan. Il arriva avec le sourire alors que je devais faire une mine déconfite après une telle journée. J’avais l’impression d’avoir échoué sur toute la ligne dans cette mission. J’avais beau creuser, chercher comment aider vraiment les gens, leurs besoins étaient inaccessibles. Ni un humain ni une organisation ne pouvait vraiment y répondre.
– Tu m’as l’air découragé, remarqua Jonathan paisiblement.
– Je le suis, je devais faire une liste des besoins de nos salariés et proposer des pistes pour combler ce qui leur manquait afin de leur redonner espoir et motivation dans cette période de crise. Mais je crois qu’au final, c’est moi qui ai perdu le peu qu’il m’en restait.
– Pourquoi cela ?
– Eh bien, je n’y comprends pas quelque chose mais leurs besoins ne sont pas de manger, boire, dormir, ni le matériel, ni le divertissement, l’argent, la réalisation personnelle, non, on dirait que rien ne peut vraiment les combler. Comme si leur besoin était, je ne sais pas,…interne ?
– Ah. Et quels sont les besoins que tu as noté alors ? interrogea Jonathan en voyant que j’avais pris des notes.
– Et bien il y a :
- le besoin de faire la paix avec les autres, surtout les personnes de son entourage. Le besoin de faire la paix « avec soi-même » ce qui me semble un peu flou.
- le besoin de vivre une vie passionnante, abondante, pleine de rebondissement. Presque une vie surnaturelle si on en écoute la personne qui a mentionné cela.
- le besoin d’une protection infaillible face à la maladie, au danger. Un espoir certain, une assurance face à la mort et à la peur qu’elle engendre.
- le besoin d’effacer les erreurs du passé, de repartir à zéro, de ne plus se sentir coupable, accusé.
- le besoin de trouver le sens de sa vie, de se sentir utile et voulu, d’avoir un objectif.
– Bon et toi Jonathan ? demandais-je en m’attendant encore au pire. De quoi aurais-tu vraiment besoin ?
– Aujourd’hui, de rien, je ne manque de rien, me répondit-il en souriant. Mais avant, ce dont j’aurai eu besoin, c’est d’amour. Pour ma part ce qui me manquait le plus c’était l’amour. Un amour qui ne ment pas, qui ne trompe pas, qui ne recherche pas son propre intérêt, qui ne s’irrite pas, qui pardonne et encourage. Un amour qui m’accueille et m’accepte comme je suis, un amour sincère qui me fait devenir meilleur. Mais j’ai eu beau chercher chez mes parents, mes professeurs, mes amis, mes relations amoureuses, je n’ai jamais trouvé ce genre d’amour. L’être humain sait pas et ne peut pas aimer comme cela.
– C’est vrai que ça semble difficile. Alors où l’as-tu trouvé comme tu as l’air si heureux maintenant ? Peut-être que ça pourra m’aider à répondre aux autres besoins listés, qui sait…
– Tu as raison, reconnu Jonathan, en fait, tous ces besoins ont l’air différents mais ils ont la même origine, la même source.
– C’est vrai ? Mais si on en connaît la cause, on peut les résoudre tous d’un coup : enfin une bonne nouvelle ! Et ça ne réglerait pas le coronavirus aussi par hasard ?
Discernant l’inquiétude que j’essayais de cacher, Jonathan me répondit avec douceur :
– D’une certaine façon, on peut dire cela, oui.
– Et du coup, insistais-je, quel est la source de tous ces besoins ?
– C’est le besoin de rencontrer Dieu.
Mon émotion retomba d’un coup. Quoi ? Dieu ? Mais qu’est-ce qu’il a à voir là dedans ? Pourtant, malgré ma tête effarée, Jonathan poursuivit, égale à lui-même.
– Oui, c’est bien le besoin de rencontrer Dieu. Le vrai Dieu, celui qui a créé la vie et plus particulièrement chacune de nos vies. C’est lui qui a les réponses et, que cela nous plaise ou non, il n’y a que lui qui les ait. C’est aussi le besoin de comprendre qui est Jésus-Christ, et ce qu’il a fait pour chacun de nous.
– Tu veux dire que tous les défis de nos collaborateurs sont en fait liés à l’absence de Dieu, de ce Jésus, dans leur vie ?
– Exactement.
– Non mais et concrètement, ça marche ?
– Bien sûr que oui, tu n’as qu’à essayer. En tout cas, je ne peux pas le faire à ta place. Dis à Dieu ce dont tu as besoin, parle lui avec un cœur sincère puis crois en lui, attends toi à ce qu’il te réponde, et tu verras par toi-même.
Besoin de rien : vrai ou faux ? Et pourtant…
Vendredi 20 Mars 2020, Soirée Espérance à 20h,
En direct sur la page Youtube de l’Église Évangélique Toulouse Minimes.